Pr Serge Théophile Balima : « si vous êtes journaliste et que vous faites le métier de communicateur, vous êtes comme un prostitué »

Le Professeur Serge Théophile Balima, maître incontesté des sciences de l’information et de la communication, s’avance lentement vers le pupitre. Devant lui, un public ému, composé d’enseignants, d’étudiants, de journalistes et de communicateurs venus nombreux pour écouter sa « dernière leçon », prononcée dans le cadre du colloque organisé en son hommage les 6 et 7 novembre 2025. Dans cette dernière leçon prononcée le 6 novembre 2025 à l’Université Joseph Ki-Zerbo, Pr Balima est revenu sur la différence fondamentale qui existe entre journalisme et communication. De façon « crue », il met en évidence cette différence et appelle à des « consciences vigilantes ».

« Et maintenant, selon la tradition, je vais vous livrer la dernière leçon du professeur. » D’entrée, le ton est donné. Celui d’une transmission empreinte d’humilité, de sagesse et de lucidité. Fidèle à sa rigueur intellectuelle, le Professeur Balima inscrit son propos dans le thème du colloque : « Est-il encore possible de former aux métiers de l’information et de la communication ? » Une question lourde de sens à l’heure où, selon lui, « nous vivons dans un contexte de confusion entre marchands de la communication et vendeurs d’information, dans un monde dominé par la digitalisation et les médias linéaires. »

Avec la clarté d’un pédagogue, il expose les interrogations fondamentales que soulève cette problématique : « Peut-on vraiment former à l’information et à la communication ? À quoi forme-t-on exactement ? Comment forme-t-on à ces disciplines aux contours multiples ? Faut-il encore former à ces métiers dans un monde en mutation constante ? »

Pour lui, ces questions renvoient à la fois à des enjeux techniques et éthiques, mais surtout à la nécessité de redonner sens aux mots eux-mêmes : information et communication. Ces termes, observe-t-il, « sont devenus des fourre-tout, couvrant tous les domaines, de l’entreprise à la religion, des sciences sociales aux sciences exactes, de l’informatique aux médias. »

Le professeur Serge Théophile Balima, dans sa dernière leçon, est revenu sur la grande différence qui existe entre journalisme et communication (Ph : B24)

Sans jamais se poser en détenteur de vérité, il refuse de figer les définitions, préférant ouvrir un espace de réflexion : « Je ne prendrai pas le risque de figer leur définition, car elles laissent ouvert un vaste champ des possibles, où se déploient mille façons d’exercer ces métiers. » Ce qu’il questionne, c’est l’adéquation entre ce qui est enseigné et ce que requiert la réalité du terrain : « Les contenus enseignés correspondent-ils vraiment aux compétences exigées sur le terrain ? »

Dans sa leçon, le professeur observe que notre époque a transformé la communication en une idéologie à la mode, presque une religion moderne. « On y voit une clé universelle capable d’ouvrir toutes les portes : de la psychothérapie au management, du marketing politique à la publicité. » Mais il précise qu’il n’existe pas de champ professionnel homogène en information et communication. Les formations, souvent trop généralistes, produisent des savoirs éclatés, plus construits selon les compétences disponibles que selon les véritables besoins du marché.

Puis, sa voix se fait plus grave. Le silence de la salle s’épaissit lorsqu’il aborde la question de la confusion entre les deux métiers. « En Afrique, cette confusion se renforce. Le journaliste, praticien de l’information, se mue parfois en communicateur, et inversement. Or, cette permutation des rôles brouille les repères. En termes crus, si vous êtes journaliste et que vous faites le métier de communicateur, vous êtes comme un prostitué. Et si vous êtes communicateur et que vous faites le métier de journaliste, vous apparaissez comme un traître. »

Des mots forts, qui heurtent et réveillent à la fois. Pour le professeur, cette confusion n’est pas seulement un glissement de fonctions, mais une crise morale qui vide ces métiers de leur sens profond.

Il plaide alors pour une réforme des formations. « L’enjeu n’est pas seulement la maîtrise des outils, mais la capacité d’analyse, d’adaptation et de compréhension des situations concrètes. Il faut former à la réflexion avant de former à la technique. » Et d’ajouter : « Un bon professionnel n’est pas celui qui manie un micro ou une caméra, mais celui qui comprend ce qu’il fait, pourquoi il le fait, et pour qui. »

Le Professeur Balima invite à repenser le rôle de l’enseignant de sorte à ce qu’il ne soit plus un simple technicien transmettant un savoir, mais « formateur de conscience, éveilleur d’esprit ». Car au fond, le véritable enjeu n’est pas de « formater » des professionnels, mais de « former » des êtres capables de penser et d’agir librement. « Le risque, désormais, est de fabriquer des professionnels instrumentalisés, soumis aux logiques économiques et politiques, plutôt que des esprits libres capables d’influencer sans être influencés. »

Lui qui a longtemps formé des générations de journalistes, rappelle que le terrain reste la plus grande école. « L’entreprise médiatique, le terrain, la réalité sociale deviennent à leur tour des écoles, souvent plus dures mais plus formatrices. On devient journaliste ou communicateur au contact du réel, dans l’épreuve, dans la confrontation avec la vérité. »

Et puis, dans un propos qui résume toute une vie de pensée et d’engagement, il conclut : « Alors, chers collègues, chers étudiants, ma dernière leçon est simple : ne soyez pas seulement des transmetteurs de messages, soyez des consciences vigilantes. L’information et la communication sont les poumons de la démocratie et de la paix. Préservez-les avec dignité, rigueur et humanité. »

Les mots sont simples, mais lourds de sens. Ils résonnent longtemps dans les esprits, portés par le poids de l’expérience et la noblesse d’une vocation. Ce jour-là, à l’Université Joseph Ki-Zerbo, le Professeur Serge Théophile Balima n’a pas seulement fait un adieu académique : il a laissé une leçon de vie.

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